Le ministre d’Anciens combattants Canada, Jean-Pierre Blackburn: Soulèvement de grands espoirs

[PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

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La première année de Jean-Pierre Blackburn au poste de ministre des Anciens Combattants fut marquée par une courte lune de miel et un apprentissage chargé. Il a notamment parcouru des dizaines de milliers de kilomètres : deux voyages de commémoration en Europe, un voyage tendu au Moyen-Orient ponctué par un incident diplomatique où l’on refusa à son avion d’atterrir à Dubaï et, en Afghanistan, par des rafales de mitrailleu-ses, au loin, lorsqu’il montait dans un hélicoptère alors qu’il rendait visite aux troupes.

Sa vie au Canada n’a guère été plus calme. À part les innombrables activités de commémoration, y compris celles du jour du Souvenir et, en 2009, de l’évènement La fin d’une époque en l’honneur du décès du dernier vétéran canadien de la Première Guerre mondiale, il y eut un torrent de reportages critiquant la manière dont Anciens Combattants Canada (ACC) traitait certains cas et faisait fi des recommandations.

Puis, en septembre, la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart, affirma que des gens du ministère avaient violé le droit à la vie privée d’un ancien combattant. Le tumulte médiatique qui s’en est suivi sapa la confiance de certains anciens combattants envers ACC et plusieurs critiques affirmèrent que le ministère était « brisé ».

Malgré sa lourde charge de travail, Blackburn, âgé de 62 ans, ne semblait ni éreinté ni débordé lors de notre entretien en octobre, une semaine après son retour du Moyen-Orient et au milieu d’une multitude de communiqués concernant les modifications proposées à la nouvelle Charte des anciens combattants.

Le ministre n’éprouva aucune difficulté à décrire sa réaction initiale au nouveau poste. « Je ne m’imaginais pas […] qu’il y avait […] tant de problèmes au ministère », dit-il.

« Ce ministre-ci est en présence d’excellentes occasions pour améliorer radicalement le traitement des anciens combattants et de leurs familles au cours des 20 ou 30 prochaines années », dit le grand président de la Légion, Larry Murray, qui était sous-ministre d’ACC de 1999 à 2003. « Il est arrivé à un tournant (du changement) et bon nombre de ses outils, bien qu’ils ne soient pas parfaits, sont en place. »

Et Blackburn a montré qu’il avait l’intention de s’en servir.

À l’automne, la commissaire à la protection de la vie privée a rapporté qu’une enquête avait confirmé une violation à la vie privée de l’ancien combattant Sean Bruyea. Selon son rapport, cela pouvait avoir été le résultat d’un problème systémique. C’est arrivé en 2005, 2006 et ça se produit peut-être encore.

En plus d’accepter toutes les recommandations de la commissaire, soit d’améliorer les politiques immédiatement, de réviser les pratiques en matière de gestion de l’information et de consentement et de former les employés, Blackburn déclara qu’il allait « faire davantage » pour ajouter le licenciement à la gamme de sanctions disciplinaires, dont la plus dure est une suspension de cinq jours.

Le ministre d’Anciens Combattants Canada, Jean-Pierre Blackburn, dans l’antichambre de la Chambre des communes. Derrière lui se trouve une statue du lieutenant-colonel George Harold Baker, le seul député tué en service commandé à la Première Guerre mondiale. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Le ministre d’Anciens Combattants Canada, Jean-Pierre Blackburn, dans l’antichambre de la Chambre des communes. Derrière lui se trouve une statue du lieutenant-colonel George Harold Baker, le seul député tué en service commandé à la Première Guerre mondiale.
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La présidente nationale de la Légion, Pat Varga, applaudit à cet acte du ministre. Une telle violation est « tout à fait inacceptable. Elle est intolérable. Nous ne […] connaissons pas encore les résultats de l’enquête, mais je crois que le ministre aussi pense que c’est intolérable. »

Si ACC se trouve à un tournant, le ministre y est peut-être aussi. Son éducation, ses antécédents en affaires, son expé­rience dans le secteur privé et ses défis sur le plan politique lui ont fourni des outils qui lui seront utiles dans le cadre de ses fonctions. Il détient un diplôme en administration des affaires et un autre en études et interventions régionales. Entre 1974 et 1984, il fut président-directeur général de la Société d’initiatives et de développement des artères commerciales, à Chicoutimi, au Québec, qui favorisait la création d’entreprises. Entre les périodes où il était politicien, il dirigea Blackburn Communications Inc., une société de relations publiques et de communications.

Élu au Parlement pour la première fois en 1984, à Jonquière-Alma, il s’est fait les dents en politique dans le gouvernement de Mulroney et il fait partie du conseil des ministres depuis l’élection, en 2006, du gouvernement conservateur actuel. Ses principaux portefeuilles au conseil des ministres ont été ceux du travail et du revenu national.

La vie privée de Blackburn lui a permis de comprendre les problèmes qui risquent d’affecter les Forces canadiennes et les anciens combattants. Son épouse Ginette et lui ont élevé leurs enfants, Charles et Marie-Christine, qui sont mainte­nant adultes, à Jonquière. « Quand Charles s’est engagé dans l’armée, j’étais très fier. » Mais la carrière militaire de son fils n’a pas fait long feu à cause d’une blessure au genou qui l’a empêché de se conformer à l’universalité du service des Forces canadiennes. Blackburn a vu son fils essayer de se réadapter après la perte de la carrière qu’il avait choisie.

En octobre, une visite au personnel des Forces canadiennes, en Afghanistan, renforça son expérience sur le plan personnel. La discipline et le dévouement des membres l’ont impressionné. « Ils sont si fiers de faire partie de l’armée canadienne », déclara-t-il. Cependant, il s’est aperçu qu’ils connaissaient mal les services et les avantages d’Anciens Combattants Canada. Il a l’intention de visiter toutes les bases du pays pour en parler. « Si les militaires se font blesser, ils ne devraient pas s’inquiéter de leur avenir. Toutefois, ajoute-t-il, nous ne sommes pas tout à fait prêts à leur offrir, de manière appropriée, tous les services dont ils auront besoin. » Il se penche aussi sur les écarts qui existent entre la Loi sur les pensions et la nouvelle Charte des anciens combattants.

Les modifications étaient attendues depuis longtemps. La frustration chez les anciens combattants et les groupes de revendication ne cessait de croître depuis la mise en vigueur de la NCAC, en 2006. L’objectif en était de mieux servir les nouveaux vétérans grâce à un ensemble de programmes visant leur mieux-être. Les écarts dans les services ont émergé en moins d’un an (Le comité demande des modifications à la nouvelle Charte des anciens combattants, septembre/octobre 2010). On s’inquiétait des compensations pour perte de revenus et du paiement forfaitaire pour la douleur et la souffrance ainsi que de la mauvaise compréhension qui pouvait régner chez les personnes visées par la NCAC, soit les militaires actuellement en service et les anciens depuis la guerre de Corée.

Le ministère affirmait alors « se pencher activement » sur ces problèmes. Toutefois, le public ne voyait aucune suite aux recommandations faites dans les nombreux rapports. En 2010, le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes et le Sous-comité des anciens combattants du Sénat ont tous deux tenu des audiences sur la NCAC et entendu des témoignages concernant la prise de bec entre ACC et l’ombudsman des vétérans quant à la coopération et l’accès à l’information. Il y eut de nombreux reportages sur la longueur des attentes et sur l’accès aux avantages pour les anciens combattants traditionnels et leurs épouses ainsi que pour ceux visés par la NCAC.

Lorsque Blackburn prit la parole au Congrès national de la Légion royale canadienne, en juin dernier (Sur la voie du service, septembre/octobre 2010), beaucoup éprouvaient de la frustration. Le ministre annonça qu’il allait obtenir un rapport sur l’examen quinquennal de la NCAC en décembre, mais qu’il y avait « tant de problèmes qu’il ne voulait pas attendre ce rapport ».

La première annonce sur les dernières modifications proposées eut lieu à la mi-septembre. Les avantages accrus s’élèveraient à deux milliards de dollars. Elles comprendraient le versement d’un supplément de 1 000 $ par mois aux blessés graves, leur assurant un revenu annuel minimal de 40 000 $ pendant leur réadaptation, ou à vie s’ils ne pouvaient pas retourner au travail. Les conditions d’admissibilité à l’allocation pour déficience permanente devaient aussi être améliorées.

Des annonces sur la « tradition de soins » ont suivi : 52,5 millions de dollars en cinq ans pour mettre à la disposition des blessés des logements de transition sans obstacle pendant leur traitement, une allocation quotidienne de 100 $ pour les aidants, un accès accru au perfectionnement professionnel pour les conjoints, un nombre plus important de gestionnaires de cas, ainsi que des avantages aux anciens combattants souffrant de la maladie mortelle SLA.

« Je n’ai aucun doute que le ministre Blackburn se soucie sincèrement des anciens combattants, dit la présidente nationale. Je crois que ce qu’il a fait est un début. Mais, ajoute-t-elle, je lui ai dit que je ne m’éclipserai pas. Il y a encore du travail à faire. » Bien que les annonces aient concerné certains problèmes liés aux avantages financiers soulevés dans le rapport du Comité consultatif de la nouvelle charte des anciens combattants, dont la Légion est membre, il y a beaucoup d’autres recommandations auxquelles on n’a pas donné de suite. Le rapport contient une bonne douzaine de recommandations sur la nécessité d’un plus grand soutien aux familles et aux survivants des anciens combattants, le besoin de mettre un terme à « l’approche inspirée des comp­a­gnies d’assurances » concernant les avantages économiques, la modernisation du programme de réadaptation, la sensibilisation des anciens combattants à la NCAC et la mesure des résultats des programmes et des services.

Varga dit qu’il est impossible de déterminer ce qui devrait avoir priorité parce que « nous croyons que tous les points sont importants ». Certains des problèmes dont la Légion s’est fait la championne n’ont pas encore été réglés, comme les dépenses liées aux funérailles et les soins de longue durée pour les anciens combattants modernes.

Tout comme Varga, Lorne McCartney, secrétaire-trésorier national des Army, Navy and Air Force Veterans in Canada, estime que les modifications sont « un bon début ». Mais un changement dans l’attitude du gouvernement en ce qui concerne les dépenses touchant les anciens combattants est un de ses désirs les plus chers. Même avec les avantages financiers accrus, « au bout d’une vie entière, ils seront perdants ».  Non seulement certains avantages financiers offerts en vertu de la NCAC prennent fin quand l’ancien combattant atteint 65 ans, mais on s’inquiète de la disponibilité à venir des installations de soins de longue durée.

D’après Murray, la communication, y compris communiquer les besoins du ministère à ses collègues au conseil, est une difficulté importante pour Blackburn. « D’après ce que je sais de lui, il travaille vraiment fort. » Mais il va lui falloir travailler encore plus pour défendre efficacement les anciens combattants auprès de ses collègues au conseil, pour faire comprendre la raison d’être de la NCAC à un public pour qui le débat se résume au versement d’une somme forfaitaire contre la pension, et pour faire en sorte que les employés du ministère répondent aux besoins des anciens combattants modernes aussi bien qu’à ceux des anciens combattants traditionnels.

Blackburn est d’avis qu’il n’a achevé qu’environ 40 p. 100 des modifications qu’il aimerait apporter. Il a assuré les anciens combattants participant à une manifestation à l’échelle du pays au début de novembre que « d’autres améliorations, notamment concernant le temps d’attente et la paperasserie, verront le jour ».

L’obsolescence est la cause fondamentale des problèmes du ministère, affirme Blackburn. Le ministère a vieilli en même temps que les anciens combattants […] mais « nous ne nous sommes pas actualisés ». À l’heure actuelle, leur nombre ne s’élève qu’à 155 000 sur les quelque 700 000 anciens combattants potentiellement prestataires des services et des programmes d’ACC. L’une des priorités est de modifier « la culture du ministère; il ne faudrait pas qu’on prenne six mois pour répondre à une question. Un de nos employés pense que nous devrions agir, mais il faut que cela aille à un autre niveau, et puis à un autre niveau, et encore à un autre […] On n’en finit plus. »

Murray dit qu’avant la NCAC, « nous avions des outils conçus pour bien s’occuper d’octogénaires ». Les nouveaux vétérans sont non seulement plus jeunes, ils ont aussi été soldats professionnels, contrairement aux anciens combattants traditionnels dont la plupart étaient des civils. La NCAC a été conçue pour combler des besoins qui sont fort différents. Il va falloir modifier la culture, dit Murray, éducation et formation incluses, mais le moment est favorable au changement étant donné le grand nombre de babyboumeurs près de la retraite.

Blackburn reconnait que le processus ne se fera pas sans peine pour les employés. « C’est très difficile pour eux », dit-il. La rapidité du changement aggravera la difficulté, mais quand les modifications auront été faites, « ils verront bien que nous prenons la meilleure voie pour nos anciens combattants et que les choses seraient bien pires si nous n’avions rien fait. »

De nouvelles façons de faire seront parfois nécessaires, par exemple offrir des avantages aux anciens combattants souffrant de SLA et dont les cas sont analysés un à la fois. « Il est important de trouver des solutions pour aider nos anciens combattants, pas pour compliquer les choses », dit-il. Ayant appris que les anciens combattants souffrant de SLA ne pouvaient s’attendre à vivre qu’entre deux et cinq ans après le diagnostic, il a réalisé que, pour eux, le temps presse. Environ 67 cas seulement ont été relevés depuis la Seconde Guerre mondiale. « J’ai posé des questions au ministère. Pourquoi ne dispense-t-on pas les services si le nombre n’est pas énorme? La réponse : le ministère attendait que preuve soit faite de l’existence du lien entre le service militaire et le développement de la maladie. Mais s’il fallait 100 ans aux scientifiques pour se mettre d’accord (sur le problème), nos anciens combattants devraient-ils attendre 100 ans? »

La présidente nationale espère que trouver un moyen de faire de la nouvelle Charte des anciens combattants un document vraiment vivant fera partie des nouvelles approches du mini­stre. « On nous a promis que la charte serait un document vivant et nous voulons que cette promesse soit tenue, qu’on la modifie quand on y découvre des problèmes. Le ministre dit qu’il est conscient de ça et qu’il s’efforce de le faire. »

Blackburn tient aussi à rassurer les critiques : bien que le ministère ait annoncé les modifications une à une, les modifications elles-mêmes n’ont pas été décidées de façon fragmentaire. « Les décisions ont été prises dans un ensemble, dit-il. Tout se tient » : la nouvelle charte, le désir des militaires blessés de prendre part entièrement à la vie quand ils reviennent chez eux, les modifications qu’il faut pour qu’ils « prospèrent » dans l’après-service. Et n’oublions pas le devoir de commémorer leur service et leur sacrifice.

Au moment de l’entrevue, Blackburn se penchait sur un programme ayant pour objet d’appuyer les collectivités qui désirent bâtir de nouveaux monuments commémoratifs en l’honneur de ceux qui sont morts depuis la guerre de Corée. Il se peut qu’il n’y ait pas suffisamment de monuments en l’honneur des anciens combattants modernes, mais cela ne veut pas dire que leur service et leurs sacrifices n’ont pas été remarqués. « Chaque fois que je dépose une couronne, je me souviens […]. Et je parle de l’Afghanistan, des soldats qui sont morts jusqu’à aujourd’hui. »

À la suite de sa visite au Monument commémoratif du Canada à Vimy, il dit mieux comprendre la commémoration pour tous les Canadiens. « Je pense que chaque Canadien devrait y aller au moins une fois dans sa vie. C’est le monument par excellence. » Il parle, d’une voix émue, de la première fois qu’il a aperçu les deux piliers de Vimy au loin. « On ne peut pas y être insensible. » L’expérience l’a aidé à prendre une décision dans le débat à savoir si le monument devrait être reproduit au Canada. « On ne devrait pas faire ça. Il devrait rester là-bas […] Il doit être unique au monde. »

Un coup d’œil sur Anciens combattants Canada

155 700  vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de celle de Corée, 86 ans en moyenne

314 200 vétérans des forces régulières, 56 ans en moyenne

279 600 vétérans de la première réserve, 52 ans en moyenne

Total : 749 500 le nombre d’anciens combattants au Canada

66 202 vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de celle de Corée

65 310 membres/vétérans des Forces canadiennes

8 580 membres/vétérans de la GRc

78 363 survivants d’anciens combattants

Total : 218 455 le nombre de clients d’ACC (en septembre 2010)

1,8 milliard de dollars en pensions invalidité

579,1 millions de dollars EN services DE SOINS DE SANTÉ et DE traitements

353,9 millions de dollars EN soins de longue durée

338 millions de dollars POUR LE Programme  D’autonomie des anciens combattants (PAAC)

299 millions de dollars EN indemnités  d’invalidité

50 millions de dollars POUR LES programmes de commémoration, y compris la restauration des cénotaphes et le Fonds du Souvenir


Total : 3,4 milliards de dollars POUR LES  dépenses d’ACC en 2009-2010

*Source : Anciens Combattants Canada, 2010

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