Un parent inconnu inspire la composition primée

Quatre-vingt-dix ans peuvent s’avérer un fossé intraversable : le temps pour que les preux disparaissent, leurs exploits oubliés même par leurs descendants. Le temps pour que les exploits des histoires partagées par les enthousiastes et les curieux deviennent des souvenirs poussiéreux dans les albums et les journaux. Et, pour finir, le temps pour que les faits soient condensés jusqu’à en devenir des pamphlets dans les manuels, vidés des expériences viscérales, la peur, la douleur, la nostalgie, la volonté même de mourir pour la patrie.

Senior affiches en couleurs, première place, Silvia Alvarado, Ottawa (Ont.) [Silvia Alvarado]

Senior affiches en couleurs, première place, Silvia Alvarado, Ottawa (Ont.)
Silvia Alvarado

John Alexander McLean, un adolescent du Cap Breton, est mort au combat, à Lens, en 1917. Son corps n’a pas été retrouvé. Il aurait probablement rejoint les héros méconnus il y a 90 ans, dont le nom n’est plus jamais dit tout haut, dont l’absence n’est plus cause de douleur pour qui que ce soit. Mais neuf décennies après sa mort, on a donné un devoir à l’arrière-petite-fille de son cadet grâce auquel la mémoire de lui va durer et peut-être son nom aussi.

Bien qu’un grand-père qui a servi lui racontait des histoires de la Seconde Guerre mondiale quand elle grandissait, Katrina van Kessel, d’Elliot Lake (Ont.), ne savait pas qu’un de ses parents était mort à la Grande Guerre.

Primaire affiches en couleurs, première place, Ashton Magotiaux, Carlyle (Sask.) [Ashton Magotiaux]

Primaire affiches en couleurs, première place, Ashton Magotiaux, Carlyle (Sask.)
Ashton Magotiaux

« Tout les autres semblent l’avoir oublié », dit cette jeune femme de 19 ans. Son devoir était de faire un rapport sur quelqu’un qui s’est battu à la crête de Vimy, l’offensive sanglante et couronnée de succès du Corps canadien contre la 6e armée allemande, livrée en avril 1917 : bataille qui, dit-on, a servi à forger l’identité nationale du Canada. John McLean y a participé et survécu.

Van Kessel a été surprise à propos de son arrière-grand-oncle. « Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère le savaient, mais elles n’en parlaient jamais. » John McLean était parti en guerre et est mort avant que son frère cadet, qui a hérité de ses médailles et de ses lettres, ait l’âge d’être écolier.

Intermédiaire affiches en couleurs, première place, Delia Yao, Scarborough (Ont.) [Delia Yao]

Intermédiaire affiches en couleurs, première place, Delia Yao, Scarborough (Ont.)
Delia Yao

La composition qu’elle a écrite sur son parent ignoré depuis longtemps, Some Climb A Ridge (il y en a qui escaladent une crête), a été primée au concours littéraire et d’affiches de la Légion royale canadienne de 2008. Grâce aux renseignements qu’elle a obtenus de sources officielles comme la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth et dans des documents d’enrôlement, elle a appris que John McLean est mort juste avant son 20e anniversaire. Mais c’était le matériel personnel, les lettres, les médailles, qui ont attendri cette jeune descendante, qui a le même âge, à peu près, qu’il avait quand il est mort.

« J’ai la lettre qu’il a écrite la veille de sa mort », dit-elle. « Il dit qu’il allait
écrire à nouveau le lendemain si tout se passait bien et, bien entendu, il ne l’a pas fait. » La lecture de ces lettres a permis à van Kessel de jeter un pont sur le fossé temporel, d’embrasser cet arrière-grand-oncle méconnu. « J’ai pleuré au mémorial quand j’ai vu son nom. C’était vraiment déchirant. On a l’impression de le connaitre après. » Pour l’honorer, dit-elle, elle voudrait nommer un de ses enfants à venir en son honneur.

Junior affiches en couleurs, première place, Anna Gummer, Comox (C.-B.) [Anna Gummer]

Junior affiches en couleurs, première place, Anna Gummer, Comox (C.-B.)
Anna Gummer

Le souvenir, la paix et le sacrifice sont les thèmes qui ont fait et refait surface dans les poèmes, les compositions et les affiches des gagnants, parmi les 105 932 provenant de tous les coins du pays. Plusieurs des écoliers qui ont gagné avaient décidé d’explorer l’histoire des membres de leur famille qui ont servi la patrie ou qui ont péri au combat. Certains ont préféré se concentrer sur ceux qui sont allés en guerre, dont les souvenirs rappellent les sacrifices d’antan. Et d’autres ont préféré le souvenir comme motif.

« On devrait enseigner l’importance du souvenir aux plus jeunes élèves », dit Silvia Alvarado, qui a obtenu un diplôme de l’école secondaire St. Patrick d’Ottawa et la première place dans la division des affiches en couleurs. Dans son affiche, il y a un cimetière où un ancien combattant présente ses respects, entouré par la pâle image de ses camarades décédés. Les anciens combattants, dit-elle, « nous ont pratiquement donné la liberté, ici, au Canada; ils ont tellement souffert ».

Le même sentiment se trouve dans Children of Freedom (enfants de la li­berté), composition junior gagnante de Lauren Phillips de l’école élémentaire Condor de Leslieville (Alb.), à quelque 200 kilomètres au nord-ouest de Calgary. « Si vous pensez que les anciens combattants ne sont qu’une sorte de conférencier de plus, vous êtes dans l’erreur », écrit-elle. « Ils méritent notre respect. » Le thème est tramé aussi dans l’affiche en couleurs senior de Jason Xue Bin Peng, pour laquelle la deuxième place lui a été décernée. Sur un fond de soldats d’une guerre passée à l’histoire, un jeune garçon, un soldat en service et un ancien combattant portent leur regard au-delà d’un drapeau canadien. Le titre : A Legacy Bridging Generations (un legs qui relie les générations).

Senior noir et blanc, première place, Monika Stahlstrom, Surrey (C.-B.) [Monika Stahlstrom]

Senior noir et blanc, première place, Monika Stahlstrom, Surrey (C.-B.)
Monika Stahlstrom

Ashley Major, âgée de 18 ans et acquéreuse d’une mention honorable au concours national de composition senior, est fière de cet héritage; sa rédaction avait été primée à la division. Certains de ses parents sont allés à la guerre et en sont revenus vivants.

Son grand-père George a servi en Europe comme ingénieur de 1942 à 1945; sa grand-mère Cornelia est une épouse de guerre hollandaise, dont la famille avait caché une Juive pendant trois ans. « Ils ne pouvaient le dire ni aux voisins, ni à leurs meilleurs amis, ni même aux membres de leur famille », dit Ashley de St. Brieux (Sask.), à deux heures et demie de voiture au nord-est de Saskatoon. « Si quelqu’un l’apprenait, cette personne aurait pu le répéter sous la torture, alors il fallait la cacher au sous-sol, toujours hors de vue. J’étais si fière quand je l’ai appris. »

Dans sa composition, elle écrit que bien que les monuments en pierre et en métal c’est bien, la paix elle-même est la meilleure façon d’honorer ceux qui sont morts pour la patrie. « Ce pour quoi ils se sont vraiment battus, c’est pour que l’avenir soit en paix. C’est ça, le monument qu’ils voulaient », dit Major.

Une photo de son arrière-grand-père, soldat mort avant qu’elle puisse faire sa connaissance, a inspiré Andrea Murray, dont le poème a obtenu la première place dans la catégorie senior du concours de poésie.

Primaire noir et blanc, première place, Jennifer Harper, Birch Hills (Sask.) [Jennifer Harper]

Primaire noir et blanc, première place, Jennifer Harper, Birch Hills (Sask.)
Jennifer Harper

« Beaucoup de mes parents ont été aux deux guerres mondiales », dit Murray, âgée de 18 ans. « Des idées me sont venues », dit-elle, après que sa mère a retrouvé une photo de son arrière-grand-père, qui a servi à la Seconde Guerre mondiale. « J’ai essayé de me mettre à la place d’un soldat », dit Murray, dont la ville natale est Benalto (Alb.), à quelque 180 km au nord de Calgary. « Qu’est-ce qui pouvait leur passer par la tête? »

Son poème, Wisps of Memory (brins de mémoire), sonde les expériences atroces de la guerre : des soldats qui en décousaient dans le mauvais temps, effrayés, à la limite de leurs forces, doutant de la victoire, beaucoup d’entre eux mourant pour leurs idéaux.

Courage! criaient-ils. Pour la patrie!
et mouraient.

Ce refrain rappelle au lecteur que beaucoup de gens ont fait le sacrifice ultime pour la liberté des générations à venir. Des milliers de milles et des décennies séparent cette ado albertaine des expériences de ces jeunes hommes, mais la jeunesse qu’ils ont en commun donne à cette écrivaine de talent une idée de leurs émotions.

Intermédiaire noir et blanc, première place, Derek Wong, Scarborough (Ont.) [Derek Wong]

Intermédiaire noir et blanc, première place, Derek Wong, Scarborough (Ont.)
Derek Wong

Elle écrit à propos de jeunes soldats « dont la bravade s’enfuit progressivement avec la sueur », conscients de la mort qui marche parmi eux, qui entendent des cris « comme le premier meurtre maudit de Caïn ». Qui accomplissent leur devoir mortel mais « se
demandent de qui (ils ont) tué le frère ».

La guerre est « un concept presque abstrait » pour les jeunes d’aujourd’hui, dit-elle, si longtemps après la dernière Grande Guerre, et puis les conflits actuels ont lieu sur des territoires qui nous semblent plus étrangers, plus lointains, que ceux de nos alliés européens.

Dans le poème de Murray, l’abstrait se fond dans le concret :

Elle a eu un prix, cette chose qui
nous chaut tant
De tout ça, c’est la Paix qui a couté
le plus.

Le souvenir est important, dit Murray, qui répète le vieux dicton : ceux qui n’étudient pas l’histoire sont condamnés à la répéter. « Les conflits se répètent encore et encore, et si on les oublie, on est voués à les répéter sans cesse. »

Monika Stahlstrom, âgée de 17 ans, de l’école secondaire Sullivan Heights de Surrey (C.-B.), avait le temps et savait comment le passer quand elle a créé l’affiche en noir et blanc senior primée. « Beaucoup de gens disent qu’il faut prendre le temps de se souvenir mais, eux, ne le font pas. »

Junior noir et blanc, première place, Mallory Lindsay, Arborfield (Sask.) [Mallory Lindsay]

Junior noir et blanc, première place, Mallory Lindsay, Arborfield (Sask.)
Mallory Lindsay

Son œuvre, intitulée Take Time to Remember (Prends le temps de te souvenir), a une jeune personne plongée dans un livre, un chien couché à ses côtés. Derrière elle se trouvent deux personnages du Monument commémoratif de guerre du Canada, la main de l’un d’eux sur son épaule.

Le souvenir est important « surtout maintenant car rares sont les gens des guerres mondiales qui vivent encore », dit-elle. « Il faut prendre le temps de se souvenir de ceux qui se sont battus pour nous et qui ont fait de notre pays ce qu’il est. » Sans le souvenir, dit-elle, les Canadiens « prendraient tout comme allant de soi ». Autrefois, « les gens ne vivaient pas comme ça; ils avaient des soucis autres qu’Internet haute vitesse et la télévision à haute définition ».

Stahlstrom enseigne l’anglais à des Coréens en été et, l’an dernier, elle a appris quels sont les effets personnels de la guerre. « Un de ses élèves lui a parlé de la scission de familles (durant la guerre de Corée). Beaucoup de gens parlent des morts de la guerre et de la politique mais ces élèves parlaient surtout des familles qui ont été affectées » par la guerre si près d’elles.

C’est une mémoire personnelle qu’elle va prendre le temps de se remémorer, en même temps que les leçons d’histoire et de guerre.

La gagnante du concours de poésie junior avait aussi le temps à l’esprit. Dans son poème, Dear Canada (cher Canada), Kylie MacNeil, âgée de neuf ans, d’Enfield (N.-É.), environ 40 km au nord d’Halifax, demande « ce que le 11 novembre a de si extraordinaire ».

« De quoi est-ce que je me souviens en ce petit jour? » demande-t-elle. « Une petite fille de neuf ans doit penser à tant de choses. Comment faire pour que ce jour soit spécial, comment le rendre mien? »

D’abord, elle pense à ce pour quoi elle peut se compter chanceuse; ensuite, elle remercie ceux qui ont servi pour leur courage et leur service mais ça ne suffit toujours pas. « Pourquoi faisons-nous cela seulement le 11 novembre du matin au soir? » demande-t-elle dans son poème. « Pourquoi ne pas être reconnaissant de ce que nous avons chaque jour, sans exception? »

Imaginez le monde s’il y avait
un silence tous les jours.
Le temps d’être reconnaissant,
chacun à sa manière.
Alors je m’engage à faire que ce jour
soit spécial pour moi,
En le gardant dans mon cœur,
cher Canada, fier et libre.

La paix est le thème principal de commémoration dans le cas de Delia Yao, gagnante de 15 ans dans la catégorie intermédiaire des affiches en couleurs. Son affiche, intitulée N’oublions pas, fait voir un champ de feuilles d’érables rouges entourant la silhouette d’une colombe. Dans cet espace se trouve le dessin de deux soldats. L’un deux porte un homme sur une civière; l’autre tire avec un fusil dans les ruines d’une ville au-dessus de laquelle volent des avions.

« La colombe est un symbole important », dit Yao, qui sera en 10e année au W.A. Porter Collegiate Institute à Scarborough (Ont.). « J’ai pensé à mettre le dessin des soldats dans la colombe parce qu’elle est le symbole du combat pour la paix. »

Yao, qui a fait son affiche lors de leçons de dessin prises régulièrement, le samedi, au Ivy Yin Yuk Leung Art Studio, à Scarborough, espère faire carrière dans le dessin.

Major commence cet automne au Concordia University College of Alberta à Edmonton. Elle a l’intention de continuer à écrire, de s’exercer en poésie et, un jour, peut-être, écrire un roman. Stahlstrom va à l’Université Simon Fraser, avec l’intention d’enseigner à l’école secondaire. Alvarado va au collège Algonquin, à Ottawa, pour étudier les beaux-arts. Van Kessel s’en va à l’Université Trent de Peterborough, en anthropologie avec spécialisation en archéologie, peut-être pour une carrière universitaire.

Mais où qu’aillent ces jeunes Canadiens, ils auront toujours une lueur de souvenir. Comme l’écrit John McCrae dans Au Champ d’honneur, « À nous de porter l’oriflamme », dit Ashley. « C’est ça le devoir qui nous incombe, nous la génération suivante. De maintenir la paix pour laquelle ils se sont sacrifiés. »

Gagnants 2007-2008

Senior
Affiches en couleurs —
première : Silvia Alvarado, Ottawa; deuxième : Jason Xue Bin Peng, Vancouver; mention hono­rable : Brandon Olsen, Emo (Ont.).
Affiches en noir et blanc — première : Monika Stahlstrom, Surrey
(C.-B.); deuxième : Viviana Astudillo, Toronto; mention honorable : Brittney Hymanyk, Spruce Grove (Alb.).
Composition — première : Katrina Elissa van Kessel, Elliot Lake (Ont.); deuxième : Kayla Feragen, Banff (Alb.); mention honorable : Ashley Major,
St. Brieux (Sask.)
Poésie — première : Andrea Murray, Benalto (Alb.); deuxième : Lauren Lavoie, Regina; mention honorable : Joseph MacNeil, Antigonish, N.-É.

Intermédiaire
Affiches en couleurs —
première : Delia Yao, Scarborough (Ont.); deuxième : Bobbi Farion, Vegreville (Alb.); mention honorable — Katlyn Gregory, Bridgetown (N.-É.).
Affiches en noir et blanc — premier : Derek Wong, Scarborough (Ont.); deuxième : Rebecca Clark, Wolseley (Sask.); mention honorable : Jocelyn Hendricks, Nanoose Bay (C.-B.).
Composition — première : Chelsea Kuik, Winnipeg; deuxième : Silken Handford-Perronnet, Tisdale (Sask.); mention honorable: Bernadette Weaver, South River (Ont.).
Poésie — première : Natasha Hofer, Gladstone (Man.); deuxième : Cali Hicks, Sackville (N.-B.); mention hono­rable : Meg Irving, Sundre (Alb.).

Junior
Affiches en couleurs —
première : Anna Gummer, Comox (C.-B.); deuxième : Taylor Wheeler, Estevan (Sask.); mention honorable : Kelsey Henry, South Tetagouche (N.-B.).
Affiches en noir et blanc — première : Mallory Lindsay, Arborfield (Sask.); deuxième : Colby Shell, Debolt (Alb.); mention honorable : Johnathon Butler, Stirling (Ont.).
Composition — première : Lauren Phillips, Leslieville (Alb.); deuxième : Amanda Burling, Emerson (Man.);
mention honorable : Selma Kusturica, Kelowna (C.-B.).
Poésie — première : Kylie MacNeil, Enfield (N.-É.); deuxième : Macaulay Scott, Calgary; mention honorable : Jessica McCarthy, Spaniards Bay (T.-N.).

Primaire
Affiches en couleurs —
première : Ashton Magotiaux, Carlyle (Sask.), deuxième : Ellen Shore, Halifax; mention hono­­­rable : Marco Ramirez, Surrey (C.-B.).
Affiches en noir et blanc — première : Jennifer Harper, Birch Hills (Sask.); deuxième : Noah Fortnum, Chilliwack (C.-B.); mention honorable : Alexia Russell, Whitby (Ont.).

Il y en a qui escaladent une crête

Katrina Elissa van Kessel

Il y en a qui escaladent une crête vers la gloire. D’autres sont destinés à disparaitre dans les annales de l’histoire : un numéro, un grade, une unité, une date.

Pour l’armée, 1075159 et pour le commandement, soldat, mais pour ceux qui te connaissaient et qui t’aimaient, tu étais John Alexander McLean.

Né le jour le plus béni entre tous, le 25 décembre, d’une année comme une autre, 1897, tu étais le premier-né de Hugh et Jesse McLean de Long Point (comté d’Inverness), un petit village situé au Cap Breton en Nouvelle-Écosse. Tu allais grandir là-bas. Quand tu t’es enrôlé, tu n’étais pas bien plus vieux que je le suis et pas si éloigné des jours d’insouciance près de l’océan : tu n’avais que 18 ans et cinq mois. Tu habitais au 167 de la rue Pleasant, à Halifax (avais-tu quitté le comté d’Inverness à la recherche de travail ou pour faire ta vie?), et tu avais trouvé un emploi en tant qu’ouvrier à Ry Construction.

Tu mesurais 5 pi. 9 po. et pesais 157 livres — plutôt élancé. Les filles devaient te trouver extrêmement beau, avec tes cheveux noirs et tes yeux bleus — pourtant, tu n’as peut-être pas quitté quelqu’un qui allait se morfondre à t’attendre; le sergent Walsh a écrit « non » à côté de « marié ». Le 26 avril, tu as promis de défendre le roi George V et ses successeurs jusqu’à la mort. Ensuite, c’était le tour du docteur. Il a noté que tu avais des cicatrices au revers de ta main gauche et à ton tibia (au cas où il faille t’identifier), et t’a ensuite déclaré apte au service.

Moins d’un an après, tu te trouvais de l’autre côté de l’océan avec le 7e Bataillon, à Vimy. Malgré toutes les chances contre toi et tes compagnons canadiens, tu as été victorieux; le Canada a remporté la bataille et tu as survécu. Il n’en irait pas toujours ainsi. Un matin « maussade et monotone » à Lens, comme l’écrivait un sergent dans son journal, tu es mort au combat. On t’a déclaré victime du Commonwealth, ton corps n’ayant jamais été recouvré. Tu n’avais pas encore 20 ans. Et, ça, la plus triste des vérités, c’est tout ce qu’on sait de toi, John.

On t’a laissé en France à jamais, tu ne reverras jamais le Canada… Tu ne verras jamais le résultat de tes efforts (et de ceux de tant d’autres). Les alliés ont gagné, John. L’Allemagne a signé un armistice le 11 novembre 1918. On disait de ta guerre qu’elle allait en finir de la guerre mais, triste à dire, un peu plus de vingt ans après, le monde se réunissait à nouveau pour se battre avec un ennemi par trop familier.

À cause de ton grand sacrifice, John, il y a tant de bonnes choses que tu n’as jamais connues, et tant de mauvaises : la grande dépression et la Seconde Guerre mondiale; le lancement de Autant en emporte le vent, la main de ta bien-aimée dans la tienne. Tu n’as pas vu l’essor du rock-and-roll et Elvis Presley. Quand Neil Armstrong a aluni, tu ne regardais pas la télévision.

Et, le plus important de tout, tu igno­res beaucoup de ta famille. Ton frère cadet a grandi et il s’est marié avec une belle femme, Helen, qui lui a donné sept enfants. Je suis sûr que Rod t’a régalé d’histoires depuis qu’il t’a rejoint, en 1991, et je suis un de ses nombreux petits-enfants : ton arrière-petite-nièce. Je ne savais rien de toi jusqu’à si récemment mais, déjà, tu es entré dans mon cœur.

L’autre jour, j’ai reçu un colis du sergent d’armes de la Chambre des communes, John et dans ce colis se trouvait une copie de la page du Livre du Souvenir où est inscrit ton nom. Oui, chaque année, le 24 juin, ton nom est exposé au Parlement, aux yeux de Canadiens de tous les coins du pays. As-tu jamais pensé qu’on t’honorerait ainsi? Ou que plus de 32 millions de citoyens se lèveraient en ton honneur et celui de tes camarades le 11 novembre de chaque année?

Un certain M. Boivin a inclus un message dans le colis, où ceci était écrit : « Une nation reconnaissante lui sait gré chaque année de son sacrifice […].

C’est ce même sentiment de gratitude qui nous fait vous envoyer cette page en espérant qu’elle sera toujours source de fierté pour votre famille. »

John, tu seras toujours, pour moi et pour ma famille, une grande source d’honneur et, sachant que la mémoire de toi ne s’évanouira jamais, j’espère que tu es en paix, et que tu sais que c’est en partie grâce à toi que tant de nations sont libres.

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