1812: La guerre qui a sauvé le Canada

The Battle of Queenston Heights de J.D. Kelly, qui représente les combats et les derniers moments du major-général sir Isaac Brock. [ILLUSTRATION : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE, COLLECTION BEAVERBROOK—19970051-001]

The Battle of Queenston Heights de J.D. Kelly, qui représente les combats et les derniers moments du major-général sir Isaac Brock.
ILLUSTRATION : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE, COLLECTION BEAVERBROOK—19970051-001

Donald E. Graves

À l’automne dernier, le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, a annoncé que le gouvernement fédéral investirait des millions de dollars pour célébrer le 200e anniversaire de la guerre de 1812. Cette célébration, a-t-il déclaré, est une occasion pour tous les Canadiens de raviver la fierté que leur inspire leur histoire et de participer « aux activités qui seront organisées dans le cadre de cet anniversaire important pour le Canada ». Toutefois, étant donné la disparition progressive de l’histoire dans les programmes scolaires au cours des dernières décennies,  beaucoup de Canadiens, surtout parmi les plus jeunes, n’ont que des idées floues au sujet de cette guerre, de ses causes, de son cours et de ses résultats. Une révision de ce conflit « oublié » peut donc être utile à ceux qui voudraient se préparer aux commémorations à venir.

Des navires britanniques se préparent à combattre dans Ennemi en vue de Peter Rindlisbacher. [ILLUSTRATION : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE, COLLECTION BEAVERBROOK 19910086-001]

Des navires britanniques se préparent à combattre dans Ennemi en vue de Peter Rindlisbacher.
ILLUSTRATION : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE, COLLECTION BEAVERBROOK 19910086-001

À l’automne dernier, le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, a annoncé que le gouvernement fédéral investirait des millions de dollars pour célébrer le 200e anniversaire de la guerre de 1812. Cette célébration, a-t-il déclaré, est une occasion pour tous les Canadiens de raviver la fierté que leur inspire leur histoire et de participer « aux activités qui seront organisées dans le cadre de cet anniversaire important pour le Canada ». Toutefois, étant donné la disparition progressive de l’histoire dans les programmes scolaires au cours des dernières décennies,  beaucoup de Canadiens, surtout parmi les plus jeunes, n’ont que des idées floues au sujet de cette guerre, de ses causes, de son cours et de ses résultats. Une révision de ce conflit « oublié » peut donc être utile à ceux qui voudraient se préparer aux commémorations à venir.

Les origines de la guerre de 1812 se trouvent dans le conflit plus grand qui opposait la France révolutionnaire impériale à l’Angleterre depuis 1793. Après la victoire navale de Nelson à Trafalgar, en octobre 1805, les Français avaient pratiquement disparu des mers, et Napoléon Bonaparte, l’empereur des Français, s’était tourné vers la guerre économique, interdisant aux navires qui faisaient du commerce avec la Grande-Bretagne d’en faire avec la France, ses alliés et les territoires qu’elle avait conquis. La Grande-Bretagne avait réagi en promulguant une loi interdisant aux navires qui faisaient du commerce avec la France d’en faire avec la Grande-Bretagne. Les États-Unis, qui avaient une grande marine marchande, se sont trouvés entre deux feux dans cette guerre par décrets. La frustration américaine s’est accrue quand la Marine royale, ayant désespérément besoin de main-d’œuvre, s’est mise à aborder les navires américains pour enrôler les marins britanniques qui s’y trouvaient. De nombreux Américains innocents ont conséquemment été forcés de devenir marins du roi.

Tecumseh. [ILLUSTRATION : BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE DE TORONTO—JRR3358]

Tecumseh.
ILLUSTRATION : BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE DE TORONTO—JRR3358

Les troubles civils à la frontière du nord-ouest menacée par la confédération autochtone dirigée par le chef Shawnee cha-rismatique Tecumseh étaient aussi cause d’irritation entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. De nombreux Américains croyaient que la Grande-Bretagne était responsable des pro-blèmes qui y surgissaient et, au printemps 1812, les États-Unis se préparaient au combat. La Grande-Bretagne offrait d’abroger les décrets maritimes qui nuisaient au commerce maritime américain, mais il était trop tard. Le président James Madison déclara la guerre à la Grande-Bretagne le 18 juin en lançant le cri de ralliement de Free Trade and Sailors Rights! (libre-échange et droits des marins, n.d.t.).

Les dirigeants américains étaient surs d’eux. L’ancien président Thomas Jefferson faisait remarquer que l’acquisition du Canada jusqu’aux environs de Montréal « ne serait qu’une question d’y défiler ». Mais le gouvernement de Madison avait négligé des problèmes majeurs en précipitant la guerre. Étant donné la puissance de la Marine royale, la guerre contre la Grande-Bretagne devait être une guerre terrestre et l’objectif, en être les colonies britanniques de l’Amérique du Nord, qu’on appelait déjà communément le Canada. En théorie, la victoire était assurée, car la population des États-Unis était de 10 fois supérieure à celle de l’Amérique du Nord britannique. Cependant, en cette ère de communication primitive, il allait falloir des efforts logistiques énormes pour approvisionner les armées lancées à l’attaque du Canada. Et, pire encore, la plus grande partie de l’armée américaine régulière était déployée en Louisiane où elle est restée durant toute la guerre. Conséquemment, les États-Unis ont essayé de faire campagne dans un théâtre de guerre éloigné difficile en utilisant des soldats mal entrainés et approvisionnés qui étaient commandés par des reliques de la guerre révolutionnaire.

Le Commodore de la U.S. Navy, Oliver Hazard Perry, et un bateau plein de survivants de la bataille du lac Érié. [ILLUSTRATION : LIBRARY OF CONGRESS—LC-USZC4-6893]

Le Commodore de la U.S. Navy, Oliver Hazard Perry, et un bateau plein de survivants de la bataille du lac Érié.
ILLUSTRATION : LIBRARY OF CONGRESS—LC-USZC4-6893

L’Amérique du Nord britannique, ironiquement, était mieux préparée à la guerre que ses voisins et, le plus important, elle était défendue par des soldats et des marins professionnels. S’il y a une leçon que les Canadiens d’aujourd’hui devraient tirer de la guerre de 1812, c’est que proclamer sa souveraineté ne suffit pas : il faut être prêt à la défendre, et il faut des forces armées professionnelles pour ce faire. La direction britannique était compétente et il y avait presque autant de soldats régu-liers au Canada que dans l’armée états-unienne. Le général sir George Prevost, gouverneur-général et commandant en chef, n’avait pas l’intention d’abandonner de territoire facilement, et il se proposait de défendre férocement Montréal et les territoires de l’est. Son subalterne dans le Haut-Canada (l’Ontario d’aujourd’hui), le général Isaac Brock, privilégiait une stratégie plus agressive et, ayant obtenu l’accord de Prevost, a entrepris de la mettre sur pied peu après le début de la guerre.

En juillet 1812, le général américain William Hull a entamé une invasion du Haut-Canada plutôt timide en traversant la rivière Détroit. Tout en se préparant à réagir à cette poussée, Brock a frappé dans la partie supérieure des Grands Lacs. Il a envoyé une petite force britannique traverser le lac Huron qui a obligé le poste américain de l’ile Mackinac à se rendre, un succès qui a convaincu bon nombre des nations autochtones qui étaient encore neutres de se ranger du côté des Britanniques. Hull s’est replié peu après jusqu’à Détroit et Brock, qui avait amené sans perdre de temps tous les réguliers, miliciens et guerriers qu’il avait pu rassembler, s’est préparé à attaquer. S’il pouvait le faire, c’est qu’au début de la guerre, la Grande-Bretagne était la seule qui possédait une marine sur les Grands Lacs, ce qui lui donnait l’avantage de la mobilité, et Brock a su bien s’en servir. Il a sommé Hull de livrer Détroit, un bluff, et, à la stupéfaction de Brock, le général américain s’est rendu le 16 aout : il abandonnait Détroit et le territoire du Michigan à une force britannique et canadienne de moitié inférieure à la sienne. La victoire de Brock, le premier grand succès de la guerre, a fait beaucoup pour encourager les gens du Haut-Canada qui n’étaient pas surs que leur province demeurerait territoire britannique.

La veste d’officier que portait Brock quand il a été atteint à mort aux hauteurs de Queenston. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19670070-009]

La veste d’officier que portait Brock quand il a été atteint à mort aux hauteurs de Queenston.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19670070-009

Les premières victoires sur terre ont malheureusement été contrebalancées par des revers en mer. Durant les années sui-vant Trafalgar, la Marine royale était devenue trop sure d’elle, convaincue qu’elle pouvait triompher de n’importe quel adversaire. Les marins britanniques ne s’étaient pas aperçus que la U.S. Navy, bien que très petite, avait d’excellents marins et navires de guerre. En conséquence, les bateaux américains ont remporté un grand nombre d’affrontements singuliers. Pendant les six premiers mois de la guerre, le USS Constitution a capturé les frégates britanniques Guerrière et Java; l’aviso américain Wasp a battu son semblable HMS Frolic; la frégate United States a remporté le combat avec la frégate britannique Macedonian; et le brick USS Hornet a capturé le brick britannique Peacock. La Grande-Bretagne n’avait pas subi autant de pertes en mer depuis plus d’un siècle, ce qui contribua grandement à remonter le moral des États-Unis, qui avait été sapé par les échecs sur terre.

L’ennemi a tenté à nouveau une invasion à l’automne 1812. La nuit du 12 octobre, une petite armée américaine de réguliers et de miliciens traversait la Niagara et s’emparait du village de Queenston. Brock, qui se trouvait à Fort George, près de Newark (l’actuelle Niagara-on-the-Lake) a alors pris le chemin de Queenston avec tous les soldats qu’il avait sous la main. Sachant que le terrain élevé derrière le village était la clé de la position américaine, il a pris la tête de l’assaut, et y a trouvé la mort. Les Britanniques et les Canadiens se sont repliés et, en attendant les renforts, un détachement de guerriers autochtones des nations de la rivière Grand, commandé par le Mohawk John Norton, surnommé « the Snipe » (la bécassine, n.d.t.), déroutait l’ennemi. Norton s’est souvenu par la suite que ses hommes « répondaient au Feu de l’Ennemi avec calme et esprit », et que bien que les Américains « faisaient certainement énormément de bruit », ce sont les guerriers qui « faisaient le plus d’Exécution » et l’ennemi a été repoussé. D’autres troupes régulières sont arrivées qui ont refoulé les envahisseurs jusqu’au bord de la Niagara et les ont encerclés pour qu’ils ne puissent pas s’échapper. Comprenant que tout était perdu, le commandant ennemi a mis bas les armes et plus de 900 Américains ont été faits prisonniers.

Un tambour des Nova Scotia Fencibles utilisé pendant la guerre de 1812. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19390005-009]

Un tambour des Nova Scotia Fencibles utilisé pendant la guerre de 1812.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19390005-009

La victoire aux hauteurs de Queenston a eu des effets cruciaux sur l’Amérique du Nord britannique, et le moral était bon quand les opérations militaires ont pris fin à l’arrivée de l’hiver. Deux invasions majeures avaient été repoussées, et l’on était sûr que la guerre aboutirait à la victoire. Mais le succès aux hauteurs de Queenston avait couté cher car, comme l’écrivait Norton, la douleur « occasionnée par la perte de Brock a assombri ce qui aurait été un sentiment de victoire grisant ».

L’optimisme des Canadiens a disparu au printemps. Un programme intensif de construction durant l’hiver avait donné aux États-Unis la supériorité navale sur le lac Ontario et l’ennemi en a vite profité. À la fin avril 1813, les navires américains transportaient une armée près de York (Toronto d’aujourd’hui), la capitale du Haut-Canada. Les envahisseurs ayant chassé devant eux la force britannique, canadienne et autochtone bien inférieure, le feu a été mis au magasin de munitions de la ville quand ils ont atteint les approches de York afin de les empêcher de s’emparer de son contenu. Un garçon qui a été témoin de l’explosion s’est souvenu par la suite qu’il avait « entendu l’explosion et ressenti comme un tremblement de terre, et en regardant vers l’endroit, vu un nuage immense monter en l’air : une grande masse indistincte de fumée, de poutres, d’hommes, de terre [qui ressemblait à] un énorme ballon ». Pendant les quelques jours que l’ennemi a occupé York, évacuée par les défenseurs, il a accidentellement incendié les édifices du Parlement provincial.

Cette peinture de Lorne K. Smith représente la réunion de juin 1813 entre Laura Secord et le lieutenant James FitzGibbon. [ILLUSTRATION : LORNE K. SMITH, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C-011053]

Cette peinture de Lorne K. Smith représente la réunion de juin 1813 entre Laura Secord et le lieutenant James FitzGibbon.
ILLUSTRATION : LORNE K. SMITH, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C-011053

Il s’agissait du début d’une nouvelle offensive américaine contre l’Amérique du Nord britannique. Une force d’envahisseurs a traversé la Niagara et capturé Fort George le 27 mai 1813. Les troupes britanniques et canadiennes, bien moins nombreuses, se sont repliées jusqu’à la région de la ville actuelle de Hamilton, poursuivies par une force américaine commandée par les généraux John Chandler et William Winder. Cette dernière a été attaquée à Stoney Creek, à l’aube du 6 juin 1813, par une force britannique plus petite et, bien que les Américains aient réussi à la repousser lors d’une bataille nocturne, dans le désordre, Chandler et Winder avaient été faits prisonniers. Les envahisseurs se sont alors repliés et, quelques semaines après, une autre force ennemie a été envoyée pour s’emparer des provisions qu’on savait se trouver chez John DeCew, près de ce qui est aujourd’hui St. Catherines, en Ontario. Cette expédition aussi s’est soldée par un échec, car le 24 juin, prévenue par une maitresse de maison du nom de Laura Secord, une force de guerriers a encerclé les Américains à ce qu’on appelle depuis la bataille de Beaver Dams et les a obligés à se rendre. Après cela, les envahisseurs n’ont plus quitté leurs lignes à Fort George en force et la guerre à la Niagara était dans l’impasse.

Ce même dimanche-là, le 6 juin 1813, jour de la défaite américaine de Stoney Creek, a aussi été le jour d’un évènement glorieux à Halifax. Le service du soir à l’église St. Paul y a été interrompu quand quelqu’un a annoncé la nouvelle excitante qu’un navire de guerre britannique amenait au port une frégate américaine capturée. « L’effet a été électrisant », s’est souvenu plus tard un témoin occulaire et, en quelques minutes, la congrégation avait abandonné le culte pour courir le long de la rue George jusqu’aux quais, voir la frégate britannique HMS Shannon et sa prise de guerre, la frégate USS Chesapeake, qui arrivaient lentement au chantier naval. Le même témoin s’est rappelé que « les toits et les quais étaient tous bondés de gens excités » qui rece-vaient les arrivants « en les acclamant à tue-tête » et qu’Halifax, croyait-il, « n’a jamais été si excitée ni avant ni après ». Le triomphe du Shannon contre le Chesapeake, à l’occasion d’une bataille livrée le 1er juin au large de Boston, mettait fin à la série de victoires singulières américaines contre la Marine royale.

Le chef Oshawana était le premier guerrier de Tecumseh à la bataille de la rivière Thames. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C-008543]

Le chef Oshawana était le premier guerrier de Tecumseh à la bataille de la rivière Thames.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—C-008543

Cette Marine a alors commencé à exercer sa puissance supérieure en imposant un blocus de la côte des États-Unis. Les corsaires qui s’abritaient dans les ports des provinces maritimes assistaient les marins du roi. La goélette Liverpool Packet, qui s’est emparée de 50 prises évaluées à près de 1 000 000 $ de 1813 avant d’être capturée elle-même, était la plus efficace de ces corsaires. Les autres corsaires remarquables, comme le brick Sir John Sherbrooke et la goélette Retaliation qui se sont emparés de moins de prises, ont aussi pris part à la déprédation du commerce côtier américain, à la perturbation de la communication et, inévitablement, à la hausse du prix de toutes sortes de biens.

À l’ouest, la guerre s’est ravivée à l’automne 1813. La bataille navale du lac Érié, menée le 10 septembre, s’est terminée par la capture de tout l’escadron britannique de ce plan d’eau. Le général britannique Henry Procter, ayant décidé qu’il ne pouvait plus maintenir sa position sur la rivière Détroit, a donné l’ordre à son armée de se replier vers l’est. Son allié autochtone, Tecumseh, a dit de Procter que c’était « un gros animal qui porte la queue sur son dos […], mais qui la place entre ses pattes pour s’enfuir quand il a peur ». Le repli a quand même été entrepris et Tecumseh a bien été obligé d’accompagner les Britanniques et les Canadiens avec ses guerriers et leur famille. Malheureusement, le 5 octobre, une force américaine supérieure en nombre a rattrapé l’armée alliée à la rivière Thames, près de l’endroit où se situe aujourd’hui la ville de London (Ont.), et l’a dispersée. Tecumseh a été tué à la tête de ses hommes, mais ses partisans ont réussi à emporter son corps en secret et l’ont enterré. Le désastre sur la Thames signifiait néanmoins la fin des ambitions britanniques en Amérique du Nord-Ouest.

Une plaque de shako de l’armée états-unienne. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19770094]

Une plaque de shako de l’armée états-unienne.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19770094

À peu près au même moment, le secrétaire de la guerre des États-Unis, John Armstrong, se rendait au nord pour ranimer l’effort militaire américain. Il avait planifié une offensive à deux volets contre Montréal avec une armée partant du lac Champlain et une autre force, encore plus grande, naviguant sur le Saint-Laurent à bord d’une armada de petits bateaux. Ces plans ont mal tourné, car l’armée du lac Champlain a été battue à la bataille de Châteauguay, à quelques milles au sud de Montréal, le 26 octobre, et elle est retournée rapidement de l’autre côté de la frontière. Il s’agissait d’une victoire remportée par des troupes entièrement francophones commandées par le lieutenant-colonel Charles de Salaberry.

Plaque de laiton de ceintures croisées de soldats. [PHOTO : NIAGARA HISTORICAL SOCIETY & MUSEUM]

Plaque de laiton de ceintures croisées de soldats.
PHOTO : NIAGARA HISTORICAL SOCIETY & MUSEUM

Le volet de l’offensive américaine arrivant par voie nautique a été vaincu par une force britannique et canadienne qui l’avait prise en filature sur le fleuve Saint-Laurent. L’ennemi, agacé par cet essaim qui lui marchait sur les talons, a fait demi-tour et il est passé à l’attaque le 11 novembre 1813, jour gris et pluvieux. Les troupes britanniques et canadiennes ont été déployées sur un bon terrain défensif près de la ferme de John Crysler, mais l’approche d’une force américaine bien plus nombreuse causait de l’appréhension dans les rangs. Le lieutenant John Sewell de Québec s’est souvenu par la suite qu’un de ses hommes s’était exclamé : « Il y en a trop, on va se faire massacrer ». Sewell lui a répondu froidement qu’il valait mieux pour lui de mourir « en faisant [son] devoir que d’être tué pour mutinerie », mais, en fait, après plus de deux heures de combats couteux, les Américains se sont avoués vaincus et se sont repliés vers leur propre territoire, mettant ainsi fin à l’offensive américaine la plus grande et la plus grave contre l’Amérique du Nord britannique.

Le « 49 » sur la plaque ovale indique le 49th  Regiment of Foot. [PHOTO : NIAGARA HISTORICAL SOCIETY & MUSEUM]

Le « 49 » sur la plaque ovale indique le 49th  Regiment of Foot.
PHOTO : NIAGARA HISTORICAL SOCIETY & MUSEUM

Quand la saison de campagne de 1814 a commencé, on avait des raisons d’être optimiste en Amérique du Nord britannique. En avril, la Grande-Bretagne et ses alliés ont envoyé Bonaparte en exil, qu’ils avaient réussi à détrôner. « Je crois vraiment que le déclin rapide de leur allié, Napoléon, disait un Canadien à propos des Américains, va les faire déchanter. » Les renforts britanniques se sont mis à traverser l’Atlantique. Un régiment de cavalerie, 10 compagnies d’artillerie et 33 bataillons d’infanterie, c’est-à-dire à peu près 28 000 hommes en tout, ont fait la traversée. Les premiers sont arrivés à Québec à la fin du mois de juin et un journaliste de l’endroit prenait acte de : « La vue extraordinaire de plusieurs navires transportant des troupes britanniques [qui] avaient une belle apparence [malgré les] uniformes râpés qui les avaient couverts de tant de gloire [en France]. » Londres ordonna à Prevost de dresser immé-diatement les plans d’une offensive de l’autre côté de la frontière.

Une peinture de John Christian Schetky représentant le HMS Shannon conduisant sa prise, le USS Chesapeake au port d’Halifax en juin 1813. [ILLUSTRATION : JOHN CHRISTIAN SCHETKY, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA, COLLECTION W.H. CLOVERDALE—1970-188-1937]

Une peinture de John Christian Schetky représentant le HMS Shannon conduisant sa prise, le USS Chesapeake au port d’Halifax en juin 1813.
ILLUSTRATION : JOHN CHRISTIAN SCHETKY, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA, COLLECTION W.H. CLOVERDALE—1970-188-1937

Cependant, les premières manœuvres ont été effectuées par les États-Unis. La nuit du 3 juillet, une force commandée par le général Jacob Brown traversait la Niagara près de Fort Erie et obligeait ce poste à se rendre à l’occasion de la campagne la plus longue et la plus rude de la guerre. À la différence des années précédentes, quand les soldats américains n’étaient évidemment pas prêts au combat, l’armée de Brown était bien entrainée et commandée par des officiers relativement jeunes qui ne manquaient pas d’expérience. La preuve que ces hommes savaient se battre a été faite deux jours après, à la bataille de Chippawa du 5 juillet, lorsque Brown a battu une armée britannique à découvert pour la première fois de la guerre; comme il s’en est vanté à Washington, la victoire avait été « obtenue sur une plaine ». Les officiers supérieurs britanniques étaient d’accord que la défaite était le résultat de « l’amélioration de la discipline et de l’expérience grandissante de l’ennemi ».

Le général Gordon Drummond, commandant britannique du Haut-Canada, a déménagé son quartier général à la péninsule du Niagara et renforcé les forces qui s’y trouvaient. Pendant ce temps, Brown s’est rendu au lac Ontario où il s’attendait à ce que l’escadron naval américain de ce plan d’eau se trouve prêt à l’approvisionner pour l’attaque de Fort George. Il n’y avait toutefois aucune voile amie, car la Marine royale avait établi une supériorité provisoire sur le lac et Brown, frustré, s’est replié à Chippawa pour se réapprovisionner. Il a été suivi par Drummond qui, ayant fait une reconnaissance du camp américain, a pris position sur une colline sablonneuse non loin des chutes, près d’un chemin de campagne en contrebas du nom de Lundy’s Lane. Ses soldats préparaient leur souper en début de soirée, le 25 juillet, quand l’ordre de prendre les armes a été donné parce que l’ennemi s’approchait. Quelques minutes après, les troupes américaines sont sorties d’un bois de marronniers, au sud, et la bataille la plus sanglante de la guerre a commencé.

Un pistolet à pierre américain se chargeant par la bouche. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—198102296-045BEAUTY]

Un pistolet à pierre américain se chargeant par la bouche.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—198102296-045BEAUTY

Elle a duré plus de cinq heures, jusqu’à la nuit, et, comme s’en est rappelé un des participants, c’était « une lutte acharnée indescriptible ». Les pertes ont été lourdes des deux côtés, y compris cinq des six généraux britanniques et américains qui ont été blessés vers la fin, et certaines unités ont été commandées par des sergents. À plusieurs moments, les armées se sont battues à la baïonnette et il y a souvent eu des cas d’erreur sur la personne dans l’obscurité où des soldats ont tiré sur leurs camarades. Quand les coups de feu se sont estompés, plus de 1 600 hommes avaient été tués ou blessés dans une zone d’à peu près deux terrains de football et, comme l’a remarqué un Américain, c’était « une scène que [il] espère ne jamais être vue par des êtres humains. Dieu merci, [il y a] survécu ». À la fin des combats, toutefois, l’armée de Brown avait de bonnes raisons de crier victoire, car elle avait pris la colline : le terrain élevé.

Cette victoire a cependant été gaspillée par un général su-balterne à qui Brown, blessé gravement, a remis le commandement. Il a ordonné un repli au Fort Erie où il a entrepris de construire un camp fortifié. Une semaine après, quand Drummond est arrivé devant le fort, il y a trouvé son ennemi dans une position bien retranchée et bien fournie en artillerie. Le général britannique a entamé un siège, mais il a été entravé par des problèmes d’approvisionnement, car l’escadron britannique du lac Ontario s’est retiré à Kingston parce que le commandant naval américain avait armé un nouveau grand navire de guerre. Les approvisionnements de Drummond devaient alors lui être apportés par voie terrestre et en peu de temps, la nourriture et les munitions lui ont manqué. Il a décidé de parier le tout en un seul coup et déclenché un assaut au cours de la nuit du 14 au 15 aout. Cela a été un désastre : les Britanniques et les Canadiens ont été repoussés en plusieurs endroits et la seule pénétration de la position ennemie à un bastion du fort de pierres a vite été terminée lors de l’explosion accidentelle d’une poudrière sous les pieds des attaquants. Des témoins se sont rappelés par la suite « une explosion terrible et un jet de flammes où se mêlaient des fragments de poutre, de terre et de corps qui sont montés à cent pieds dans les airs ». L’assaut a été un échec complet, et le cout en a été de plus de 900 morts et blessés.

Un sabre de cavalerie légère britannique de 1796. [PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19760115-00166]

Un sabre de cavalerie légère britannique de 1796.
PHOTO : MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE—19760115-00166

Les armes britanniques ont eu davantage de succès ailleurs pendant cet été sanglant. En aout, le général John Coape Sherbrooke, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, a entrepris une expédition contre les ports côtiers du Maine et capturé Bangor, Castine et Machias. Les commandants britanniques ont perçu les droits de douane et la taxe d’accise sur les marchandises arrivant à terre durant leur possession de ces endroits et, après la guerre, 10 000 £ prélevées aux fonds ainsi obtenus ont servi à l’établissement de l’Université Dalhousie à Halifax. Plus au sud, une importante expédition est arrivée à la baie de Chesapeake afin d’y attirer des troupes américaines du théâtre septentrional. À la fin du mois d’aout, une petite armée britannique commandée par le général Robert Ross s’est dirigée vers Washington et a battu une force américaine supé-rieure en nombre à Bladensburg, près de la capitale états-unienne, de laquelle faisaient partie le président James Madison, le secrétaire de la guerre John Armstrong et le secrétaire d’État James Monroe. Il est possible que la présence de ces politiciens sur le champ de bataille soit attribuable à l’occupation de Washington par l’armée de Ross cette nuit-là. Au cours des quelques jours qui ont suivi, elle a incendié des établissements militaires et navals, les édifices de l’Assemblée législative et l’hôtel particulier du président qui ne s’appelait pas encore la Maison-Blanche et qui, selon les règles de la guerre telles qu’on les comprenait alors, étaient des cibles militaires légitimes.

Le succès à Washington a été suivi, le 12 septembre, par l’échec à Baltimore, quand Ross a été tué en faisant une reconnaissance des défenses de la ville. Baltimore étant trop puissamment défendue pour qu’ils l’attaquent directement, les Britanniques se sont contentés d’un bombardement naval de Fort McHenry, non loin de là, par l’artillerie et les fusées. Un jeune avocat américain, Francis Scott Key, ravi du flamboiement des canons et des explosions a rapidement écrit un poème, qu’il a adapté par la suite à la musique d’une vieille chanson à boire anglaise, commençant par Oh say can you see, by the dawn’s early light; comme c’est bien connu, c’est devenu par la suite l’hymne national des États-Unis. Malgré les feux d’artifice, l’attaque des Britanniques a été repoussée.

C’est au nord, sur le lac Champlain, qu’a eu lieu la plus grande offensive britannique de la guerre. Durant les premiers jours de septembre, une armée britannique et canadienne de plus de 10 000 hommes dirigée par Prevost s’est introduite dans le Nord de l’État de New York et s’est approchée de la base navale américaine de Plattsburgh. C’était une armée pleine de confiance : les musiques régimentaires jouaient Yankee Doodle comme insulte pendant que les troupes défilaient sur un pont près de la frontière, à Champlain (N. Y.). Prevost a facilement balayé les arrières-gardes de la milice et a atteint Plattsburgh le 6 septembre, puis il s’est installé en attendant l’escadron britannique du lac Champlain dont il avait besoin pour s’emparer de la base ennemie. La Marine royale est arrivée comme prévu, le 11 septembre, et a attaqué l’escadron américain qui gardait l’entrée du port de Plattsburgh. L’escadron britannique a été entièrement battu et capturé après une bataille où presque 250 hommes des deux côtés ont été tués ou blessés. Ne pouvant pas prendre Plattsburgh sans l’aide de la Marine, Prevost a décidé de retourner au Canada et la meilleure armée britannique jamais envoyée en Amérique du Nord, le moral bas, a fait demi-tour et s’est trainée vers le nord. Un officier britannique s’est souvenu par la suite que pendant que les longues colonnes se trainaient sur le pont à Champlain, un Américain a crié : « On dirait que vous ne jouez plus Yankee Doodle maintenant ». Certains des hommes de l’officier « auraient voulu le jeter [l’Américain] dans la rivière, mais ils ne l’ont pas fait ».

Pendant ce temps, au bord de la Niagara, le général Gordon Drummond avait continué de piétiner au siège de Fort Erie, mais le manque de nourriture et de munitions l’a obligé à ordonner le repli. Ses soldats se préparaient à le faire, le 17 septembre, quand les Américains ont jailli du fort et attaqué les batteries du siège. Ils ont fini par être repoussés, mais pas avant que plus de 1 000 hommes aient été perdus des deux côtés. Drummond s’est replié jusqu’à une bonne position défensive sur la rive nord de la Chippawa. Presque en même temps, ironie du sort, l’escadron britannique du lac Ontario reprenait la supériorité navale après avoir armé le navire de guerre St. Lawrence de plus de 100 canons, le plus grand bâtiment naviguant sur les Grands Lacs. Malheureusement, c’était un éléphant blanc très couteux qui n’a fait qu’un seul voyage avant de retourner à Kingston, où il est resté pendant le reste de sa courte carrière. La campagne s’est terminée au début du mois de novembre quand l’armée américaine du Niagara est retournée sur le sol américain. Il y a encore eu quelques escarmouches et actions mineures, mais la guerre était en grande partie terminée.

Les combats de l’été et de l’automne de 1814 avaient été suivis peu après par l’envoi de diplomates des deux nations à la ville hollandaise de Ghent pour négocier un accord de paix. Ils sont parvenus, après de longues négociations, à un accord basé sur le statuquo ante. Le traité a été signé à la veille de Noël 1814, mais la nouvelle n’a atteint l’Amérique du Nord qu’en janvier 1815, quand a eu lieu la dernière grande bataille, à La Nouvelle-Orléans, où il y a eu beaucoup de victimes avant que les Britanniques ne soient repoussés. Deux mois après, le Congrès des États-Unis ratifiait le traité de Ghent et la guerre était finie.

Quels ont donc été les résultats de ce conflit « oublié »? Il est facile de répondre à cette question. Si la Grande-Bretagne n’avait pas bien défendu ses colonies d’Amérique du Nord, le Canada n’existerait pas aujourd’hui. Cette guerre a été un moment déterminant de l’histoire canadienne au cours duquel ont été établies les fondations non seulement de la Confédération, mais aussi de la nation moderne que nous avons aujourd’hui, indépendante et libre, comprenant une monarchie constitutionnelle, un système parlementaire et le respect de la diversité linguistique et ethnique. Ce sont là certainement suffisamment de raisons non seulement de se souvenir de la guerre de 1812, mais de la commémorer.

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